Le Caucase
› Publication : 23 février 2022

› Rédaction : Philippe Cantreau

Amateur de motos et de destinations lointaines comme les Andes ou l’Himalaya mais vers lesquelles nous ne pouvions pas partir avec nos propres machines longuement et méticuleusement préparées. Nous partions toujours contrariés de les laisser prendre la poussière dans le garage pour finalement en louer à l’autre bout du monde. Apres 18 mois de réflexion et de préparation, cette fois nous partons pour la conquête de l’Est. En cette fin juin 2019, les 4 motos sont prêtes, 3 BMW 1200 et une KTM 790 seront du voyage.

Apres une longue et chaude traversée de l’Italie, nous sommes à Ancône. La Grèce est à portée de roues. Les 1ers et interminables enchainement de virages nous font découvrir les villages perchés des Monts de Pinde. Kalambaka sera le départ vers les Météores avant de contourner le mont Olympe pour rejoindre la frontière gréco-turque. La Turquie nous offre de belles infrastructures routières mais la conduite locale n’a pas changé. Nous sommes envahis par la liberté de rouler et de   pouvoir passer de l’Europe à l’Asie en moto. On progresse vite le long de la mer noire que l’on quitte pour rouler au frais dans la chaine Pontique. Nous atteignons Ispir après une succession de vallées et de cols dans un paysage très minéral.

Nous nous rendons dans la banlieue Sabourtalo, chez des néerlandais au look hipster raffiné et organisateur de voyage. Nous y faisons connaissance de Nika, un chirurgien-dentiste, reconverti en ouvreur moto qui nous guidera dans le pays. Ici on ne doit pas se perdre entre les provinces sécessionnistes de l’Ossétie du sud ou de l’Abkasie et les frontières voisines de l’Ingouchie, du Daghestan et de la Tchétchénie sous peine de ne pas revoir de sitôt les alpes ! Notre première destination nous emmènera vers la Kakhétie, une région viticole réputée, traversée par la rivière Alazini qui se jette dans la Caspienne. Nous rejoindrons ensuite Sighnaghi, une ville fortifiée, à une centaine de kilomètres de Tbilissi, le point le plus à l’est de notre voyage, au-delà du 45eme méridien. Nous rattraperons, à Tiani, une petite départementale qui nous amènera sur la très fréquentée route nord- sud qui relie la Russie à Téhéran en traversant le grand Caucase. Ici, les UAZ et les Ural se mesurent aux autres canions venus de l’ouest. Nous sommes à Stepantsminda, sur les contreforts du Caucase. La météo n’est pas favorable mais quelques éclaircies laissent voir le mont Kazbek, à plus de 5000m. Détour par le monastère de la trinité, un incontournable du pays. Nous empruntons d’étroites gorges défigurées par des complexes industriels d’extraction du manganèse mais la couleur revient à Tchiatura. La route est sinueuse et montante. Les perturbations qui arrivent de la mer Noire sont bloquées par le Grand Caucase. L’eau rejoint la rivière en empruntant la route, en entraînant pierres et boue sur le macadam. La visibilité diminue avec le brouillard et la buée sous le casque. La vigilance est extrême car vaches, chevaux, cochons et chiens sont toujours là.

Les grandes civilisations se sont croisées ici pour le commerce et leurs conquêtes. Tous y ont laissé des traces de leurs culture et sous différentes formes. Le patrimoine historique de la région est très riche.  Carrefour d envahisseurs sans foi ni loi ou la leur, tous y sont passés, d’Alexandre le Grand aux moghols de Tamerlan venus des steppes d’Asie centrale. Ils y ont combattu les perses, les bolcheviks, les ottomans, les abkhazes, etc…

Direction L’Arménie, on nous avait prévenu, ce n’est pas la continuité de la Géorgie. Le passage de frontière est facile et sans encombre. Les villes d’Alaverdi ou Vanadzor sont industrielles et minières, exploitation du cuivre, vendues aux français. Nous passons un col à 2000m dans le Petit Caucase avant d’arriver sur le bord du lac Sevan. La météo est clémente sur cette mer intérieure arménienne. Passé les monts Pambak, on descend sur l’immense plateau de Yerevan, avec en arrière-plan, le mont Ararat avec ses neiges éternelles à 5165 m.

Nous prenons une route peu large mais goudronnée, elle nous amène au lac Kari. Quelques bergers yezidiz y sont installés pour l été sur les pentes de ce volcan. A 3200m, la température est tombée à 15°c et celle du lac bien en dessous. Nous sommes face au mont Aragat (4090m), le plus haut sommet d’Arménie. C’est une 1ere pour nos motos que de les amener à cette altitude !

Le Mt Ararat est dans une épaisse brume de chaleur. Il fait 38° à Yerevan qui est pourtant à 1200m.  La journée ne serait pas arménienne sans un coup d’œil à une église, un château du ou quelques vieilles pierres. Le programme culturel continue avec le Matenadaran, un musée qui contient plus de 20 000 manuscrits anciens, de la lecture pour tous et dans toutes les écritures. Un vrai bond dans le passé avec des pleins & déliés, des parchemins et des enluminures aux couleurs flamboyantes. On ne lit pas encore l’évangile en syriaque ou en arménien ancien mais on progresse dans ce berceau de l’écriture. 

Nous remontons vers la mer Noire en passant par Gyumri, Ex Leninakan, détruite en 1988 par un puissant tremblement de terre et reconstruite avec le soutien de C. Aznavour. A 2100 m d’altitude la route devient piste, le ciel est couvert avec 18° sur cet immense plateau qui nous mène au Petit Caucase.  L’après-midi se partage entre canyons, forteresses et villes troglodytes avant de rejoindre Bordjomi.

Nous partons pour Batoumi, pour prendre un ferry à destination d’Odessa. Nous arrivons en fin d’après-midi sur les bords de la mer noire. La ville est importante en taille et en hauteur. La capitale de l’Adjarie est un mélange de modernité façon émirats avec quelques tours sur un front de mer et une ville ancienne avec des influences russes et turques. 

 Aucune indication pour rejoindre le port, pour faire les formalités de douane, pour embarquer, aucune aide en anglais, des policiers qui nous refoulent, bref une grande solitude géorgienne. Après avoir tourné, viré dans la zone portuaire, nous sommes au pied du Vilnius, sur le quai ou plus exactement sur des voies ferrées déformées et discontinuent mais où circulent quand même des wagons d’une autre époque dans ce terminal ferroviaire relié à Bakou. Vers 2h du matin, 2 convois, d’une trentaine de wagons chacun, s’ébranlent parallèlement dans la lueur jaunâtre des projecteurs du port, poussés par de puissantes et bruyantes locomotives soviétiques. Le chargement des camions est interrompu. Les wagons pénètrent lentement dans le Vilnius. La ligne de flottaison s’enfonce.  Le bateau peut en contenir une centaine. Un son et lumière d’acier et de crissements qu’on n’oubliera pas de sitôt. A 3h du matin, les motos sont sur le pont supérieur.  Peu de cabine sur ce vrai cargo historique récupéré aux lituaniens mais confortable. On sent déjà l’ambiance de l’ex URSS, organisée, planifiée voire disciplinée, l’autre rive de la mer Noire semble proche.

 

Dans l’après-midi, pas de pluie, la mer est d’huile et grise comme le ciel, la température douce, quelques dauphins, des mouettes. Les routiers tournent à la bière, comme les machines au fioul lourd, même conso. La traversée va être longue, plus de 1000 kms à faire à la moyenne de 20 km/h. 

Apres 3 jours de Cargo, nous arrivons enfin au port de Chornomorsk, la zone portuaire d’Odessa. Il est 20h00 quand Les douaniers montent à bord et installent au bar. Lentement mais sûrement, nos passeports sont tamponnés. Y en a dans tous les sens. Nous sortons du Vilnius, nouveau contrôle et chute, roue avant coincée dans les rails !

 La grande déambulation douanière commence. L’incompréhension est totale, des formulaires en cyrillique, des tampons et des explications en ukrainien. Notre quête du tampon “libérateur” se poursuit jusqu’ au plus profond des bâtiments du port. Par compassion, nous obtenons le soutien de Georgiens qui, assis dans les escaliers finissent par applaudir notre persévérance à vouloir rentrer en Ukraine. Vers 23h, le bureau 26 tamponne le dernier des 5 formulaires signés et contre signés.

Odessa est une ville agréable de bord de mer, très verte avec de nombreux jardins, avenues bordées de platanes et bien sûr son escalier incontournable depuis 1905. Belle journée de repos dans cette ville voulue par Catherine II de Russie. Il est temps de repartir vers l’ouest. La route est droite et longue dans cette immense plaine agricole sans intérêt. Les kilomètres défilent. Les prochaines frontières vont être pénibles à Franchir. On n’évitera finalement pas le passage Ukraine/Moldavie avant de rejoindre la Roumanie.

 Au final, c’est 11 000kms, 450 l d’essence, 160h à califourchon, 11 pays traversés et autant de « décalcomanies » sur les sacoches, 7 monnaies sans compter celle de singe, 5 alphabets. Les rencontres et les découvertes ont fait oublier les quelques galères inévitables sur une telle virée. On est parti léger mais on revient avec une tonne de souvenirs que personne ne nous volera. Il restera des cartes couvertes de Stabilo, des écrits pleins de fautes et des milliers de photos plus ou moins floues mais qu’on n’hésitera pas partager.  

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